Entre 1918 et 1922, au cœur du tumulte de la guerre civile qui suit les
révolutions de 1917, ont lieu les plus grands massacres prégénocidaires
de l’histoire juive. Dans des conditions atroces, 100 000 à 150 000
Juifs y perdent la vie, 200 000 sont blessés. Peut-on encore qualifier
ces tueries de pogroms, tant ce massacre de masse semble à l’échelle de la guerre totale qui vient de dévaster l’Europe ?
Annoncés dès l’automne 1914 par l’éloignement des zones de combat des
populations considérées comme potentiellement « traîtresses », ce bain
de sang toucha 2 000 localités situées principalement en Ukraine dans
l’ancienne « zone de résidence ». Les tueries furent surtout perpétrées
par les troupes blanches, cosaques et ukrainiennes, mais aussi par
l’armée polonaise en 1920, voire par des unités de l’Armée rouge. Elles
eurent rarement pour motif principal le pillage. C’est bien
d’extermination qu’il s’agissait. Dans le chaos général de la
révolution, les Juifs seuls étaient visés au nom de leur identité
supposée. Et leurs voisins chrétiens, paysans ou artisans locaux, loin
de chercher à les protéger, exacerbèrent au contraire les violences
dans une contagion jouissive, enivrés par la promesse d’un monde sans
entrave et sans loi.
Cette entreprise de « purification ethnique » dont fut victime la
communauté juive et qui annonce le génocide à l’Est a laissé peu de
traces dans la mémoire collective : les archives ont massivement
disparu. Surtout, l’ombre portée de la Shoah a occulté les traumatismes
antérieurs. Aujourd’hui, toutefois, une nouvelle génération
d’historiens russes exhume cette histoire.
En témoigne ce Livre des pogroms, publié à Moscou en 2006, qui
rassemble des milliers de témoignages recueillis dès mai 1919 auprès
des survivants et des réfugiés, ainsi que par les rapports d’enquêtes
diligentés par les organismes d’aide aux victimes. Un ouvrage d'une
valeur historique exceptionnelle.